jeudi 16 juin 2016

Découvrir Gabriel Vahanian

Le monde d'aujourd'hui n'est plus le même monde qu'a connu Jésus et nous ne sommes plus dans la situation des premiers disciples. Nous ne pouvons plus croire de la même manière tout simplement parce que des siècles de culture et de découvertes scientifiques et techniques ont profondément changé notre compréhension de l'univers, de l'homme et de l'homme à l'intérieur de cet univers. Cette distance intellectuelle et spirituelle nous tient sans aucun doute à distance de l'interprétation de l'Évangile telle que pouvait être celle des auditeurs de Jésus. Ce constat aura poussé un grand nombre de théologiens et de fidèles à essayer de combler le fossé pour chercher à expliquer ce que Jésus a vraiment voulu dire. Les Églises d'une manière générale regrettent cette distance qui nous empêcherait de bien comprendre l'Évangile.


À contrario de cette vision pessimiste et nostalgique courante dans les Églises protestantes en France, la pensée théologique de Gabriel Vahanian, non seulement tire les conséquences de cette distance mais aussi la valorise positivement en expliquant que cette distance est dès l'origine incluse dans le message chrétien et en est d'ailleurs le fruit et la conséquence. En effet, Jésus n'a-t-il pas annoncé la venue du Consolateur ? De celui qui, selon l'évangile de Jean (chap. 17), devait expliquer la Parole de Dieu ?


C'est justement toute la force de la récente biographie de Gabriel Vahanian par Philippe Aubert que d'inscrire la pensée du théologien de Princeton, Syracuse et Strasbourg dans une théologie biblique de l'Esprit et du Royaume de Dieu.


Compagnon de pensée de Gabriel Vahanian, Philippe Aubert en fut aussi un ami très proche et c'est un portrait sensible de celui qu'il n'hésite pas à qualifier comme son maître qu'il nous livre ici en cinq courts chapitres éclairants. En retraçant d'abord la vie de Gabriel Vahanian au fil de ses ouvrages, Philippe Aubert ne cède en rien à un formalisme de biographe mais souligne à quel point la pensée et l’œuvre du théologien ont été nourries des dialogues permanents et féconds avec les plus grands penseurs de notre époque. Qu'il s'agisse de Karl Barth, Paul Tillich, Rudolf Bultmann, Albert Schweitzer ou encore Jacques Ellul, la théologie de Vahanian est riche de leurs apports, pour s'en approcher ou pour s'en distancer mais toujours dans une confrontation intelligente.


Le professeur André Birmelé classait en son temps les théologiens en deux catégories : les « réservoirs », c'est-à-dire ceux auprès de qui l'on puise l'érudition et les bases intellectuelles et les « sources », ceux qui, à partir du donné théologique qui les précède, élaborent une pensée originale, sont capables d'une élaboration systématique et donnent ainsi une clé d'interprétation de la Révélation. Abordant successivement la controverse de la « Mort de Dieu », la théologie comme une science utile au monde et pas seulement à l'Église, la technique comme univers structurant de nos sociétés et enfin l'idée d'utopie comme définition même du Royaume de Dieu, Philippe Aubert montre de manière très fine que Vahanian faisait clairement partie de la catégorie des « sources ». Autrement dit de ceux qui proposent une intelligibilité du monde et une interprétation du message évangélique qui soient véritablement audibles et compréhensibles par nos contemporains.


Car l'on ne peut pas dire la foi, aujourd'hui que nous savons que le ciel est vide, de la même manière qu'au temps du Christ. Cette biographie de Gabriel Vahanian nous donne les clés pour entrer dans l’œuvre de celui qui considérait qu'il n'est de bonne théologie que passant par la poésie du langage. Une exigence à redécouvrir d'urgence.


Roland Kauffmann


Gabriel Vahanian. Penseur de l'utopie chrétienne.
Collection Figures protestantes, Olivétan, Lyon, 2016, 120 pp. 14€
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1 commentaire:

  1. Félicitation Philippe Aubert pour votre étude claire sur la pensée de l'utopie de Gabriel ça lui aurait fait bien plaisir.

    Martin Laramée, M.TH;M.PH
    ancien collaborateur et ami de Gabriel
    Laval, Québec

    P.S. Avez-vous une lien de parenté avec Jean-Marie Aubert ? j'ai vu son livre Pour une théologie de l'âge industriel (1971) traîné sur le bureau de Gabriel à Strasbourg.

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