Le monde d'aujourd'hui n'est
plus le même monde qu'a connu Jésus et nous ne sommes plus dans la
situation des premiers disciples. Nous ne pouvons plus croire de la
même manière tout simplement parce que des siècles de culture et
de découvertes scientifiques et techniques ont profondément changé
notre compréhension de l'univers, de l'homme et de l'homme à
l'intérieur de cet univers. Cette distance intellectuelle et
spirituelle nous tient sans aucun doute à distance de
l'interprétation de l'Évangile telle que pouvait être celle des
auditeurs de Jésus. Ce constat aura poussé un grand nombre de
théologiens et de fidèles à essayer de combler le fossé pour
chercher à expliquer ce que Jésus a vraiment voulu dire. Les
Églises d'une manière générale regrettent cette distance qui nous
empêcherait de bien comprendre l'Évangile.
À contrario de cette vision
pessimiste et nostalgique courante dans les Églises protestantes en
France, la pensée théologique de Gabriel Vahanian, non seulement
tire les conséquences de cette distance mais aussi la valorise
positivement en expliquant que cette distance est dès l'origine
incluse dans le message chrétien et en est d'ailleurs le fruit et la
conséquence. En effet, Jésus n'a-t-il pas annoncé la venue du
Consolateur ? De celui qui, selon l'évangile de Jean (chap.
17), devait expliquer la Parole de Dieu ?
C'est justement toute la force
de la récente biographie de Gabriel Vahanian par Philippe Aubert que
d'inscrire la pensée du théologien de Princeton, Syracuse et
Strasbourg dans une théologie biblique de l'Esprit et du Royaume de
Dieu.
Compagnon de pensée de
Gabriel Vahanian, Philippe Aubert en fut aussi un ami très proche et
c'est un portrait sensible de celui qu'il n'hésite pas à qualifier
comme son maître qu'il nous livre ici en cinq courts chapitres
éclairants. En retraçant d'abord la vie de Gabriel Vahanian au fil
de ses ouvrages, Philippe Aubert ne cède en rien à un formalisme de
biographe mais souligne à quel point la pensée et l’œuvre du
théologien ont été nourries des dialogues permanents et féconds
avec les plus grands penseurs de notre époque. Qu'il s'agisse de
Karl Barth, Paul Tillich, Rudolf Bultmann, Albert Schweitzer ou
encore Jacques Ellul, la théologie de Vahanian est riche de leurs
apports, pour s'en approcher ou pour s'en distancer mais toujours
dans une confrontation intelligente.
Le professeur André Birmelé
classait en son temps les théologiens en deux catégories : les
« réservoirs », c'est-à-dire ceux auprès de qui l'on
puise l'érudition et les bases intellectuelles et les « sources »,
ceux qui, à partir du donné théologique qui les précède,
élaborent une pensée originale, sont capables d'une élaboration
systématique et donnent ainsi une clé d'interprétation de la
Révélation. Abordant successivement la controverse de la « Mort
de Dieu », la théologie comme une science utile au monde et
pas seulement à l'Église, la technique comme univers structurant de
nos sociétés et enfin l'idée d'utopie comme définition même du
Royaume de Dieu, Philippe Aubert montre de manière très fine que
Vahanian faisait clairement partie de la catégorie des « sources ».
Autrement dit de ceux qui proposent une intelligibilité du monde et
une interprétation du message évangélique qui soient véritablement
audibles et compréhensibles par nos contemporains.
Car l'on ne peut pas dire la
foi, aujourd'hui que nous savons que le ciel est vide, de la même
manière qu'au temps du Christ. Cette biographie de Gabriel Vahanian
nous donne les clés pour entrer dans l’œuvre de celui qui
considérait qu'il n'est de bonne théologie que passant par la
poésie du langage. Une exigence à redécouvrir d'urgence.
Roland Kauffmann
Gabriel Vahanian. Penseur de
l'utopie chrétienne.
Collection Figures
protestantes, Olivétan, Lyon, 2016, 120 pp. 14€
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Félicitation Philippe Aubert pour votre étude claire sur la pensée de l'utopie de Gabriel ça lui aurait fait bien plaisir.
RépondreSupprimerMartin Laramée, M.TH;M.PH
ancien collaborateur et ami de Gabriel
Laval, Québec
P.S. Avez-vous une lien de parenté avec Jean-Marie Aubert ? j'ai vu son livre Pour une théologie de l'âge industriel (1971) traîné sur le bureau de Gabriel à Strasbourg.