Solutions ou impasses ?
En fait, ni un ni l’autre! Gabriel Vahanian
s’en explique dans Hommage au séculier (ndlr: 1, et le compte-rendu par David L. Miller) paru il y a quatre ans.
Né à Marseille le 24 janvier 1927 de
parents réfugiés en France au début des années 20 après avoir fui les campagnes
d’épuration ethnique menées dans les régions de la Turquie où vivaient les
Arméniens, Gabriel Vahanian décédait le 30 août dernier à son domicile de
Strasbourg. Il a été professeur au département de religion de l’Université de
Syracuse dans l’État de New York de 1958 à 1984, puis à la faculté de théologie
protestante de l’Université de Strasbourg où il a succédé à Roger Mehl comme
professeur de théologie. Depuis 1995, il était professeur émérite.
Représentant le plus important du mouvement
des théologies dites de la «mort de Dieu» au début des années 60 avec le livre La mort de dieu. La culture de notre ère
post-chrétienne, Vahanian a été aussi le critique le plus radical de ce
mouvement, notamment avec le livre La
condition de Dieu. Pour lui, le christianisme, loin d’être trahi par
l’Occident, est menacé et donc mis au défi par son propre succès sur le plan
culturel. Vahanian jetait ainsi les bases de sa réputation internationale en
tant que penseur de la culture.
Culture et foi – Le langage
Dans les décennies qui suivirent, Vahanian
a continué à enseigner, à écrire et à publier des livres comme Dieu et l’utopie: L’Église et la technique;
Dieu anonyme ou la peur des mots; L’utopie chrétienne; La foi, une fois pour
toutes; Tillich et le nouveau paradigme religieux; et en 2008, Hommage au séculier.
Des personnalités religieuses
conservatrices ont l’habitude de prévenir contre les dangers de la
sécularisation, tout comme certains promoteurs de l’État moderne dénoncent les
tendances théocratiques de la religion. De part et d’autre, on suppose que
sacré et sécularité s’opposent radicalement.
Mais le problème réside ailleurs selon
Vahanian. À lumière de la notion biblique de sainteté de Dieu, il revendique
une sécularité qui relie étroitement la philosophie, l’histoire, et la
théologie de manière inédite. Loin de s’opposer à la sécularité, la foi trouve
son accomplissement dans le monde séculier: car comprendre la parole faite
chair et comprendre Dieu en tant que parole, c’est se rendre compte que cette
parole exige de devenir monde.
Pour Vahanian,
le langage est le milieu du divin et de l’humain qui sont livrés aux mots qui
masquent autant qu’ils révèlent et qui sont des sources mais peuvent aussi
devenir des tombeaux dont il faut rouler la pierre.
Un défi : la technique
Vahanian avoue sa stupéfaction devant le
fait qu’on refuse encore et toujours de reconnaître que la technique est un
défi; un défi qui ne s’adresse à nul autre qu’à l’être humain et qui, en
dernière instance, ne remet absolument rien en question, si ce n’est l’être
humain lui-même dans son for intérieur bien plus encore que dans son
environnement. Cela, même si la technique amène aussi pour Vahanian une prise
de conscience sans précédent de la précarité de l’environnement et du respect
qu’on lui doit ainsi qu’à la vie.
De
l’illusion technicienne à l’utopie meurtrière, en passant par le cauchemar
climatisé ou par Le meilleur des mondes d’Aldous
Huxley, ou simplement par En attendant
Godot de Samuel Beckett, rares sont les auteurs qui, du Jardin d’Éden au
célèbre roman 1984 de George Orwell,
ont su voir dans la technique l’enjeu du siècle. Or pour Vahanian, l’être
humain est plus qu’un souvenir de l’humain, puisqu’il en est l’attente. Et plus
cette attente est forte, plus profonde est la crise.
Une sécularité à redécouvrir
Vahanian a redonné vigueur à la sécularité
contre les revendications fondamentalistes qui absolutisent le relatif, et
contre cette sorte particulière d’athéisme qui relativise l’absolu et qu’il appelle
le sécularisme. Pour lui, Dieu n’est pas sans le monde, mais le monde n’est pas
Dieu. De même, dans le Jardin d’Éden, il n’y a pas d’espace réservé au sacré,
et il n’y a pas de temple non plus dans la Jérusalem nouvelle.
Gabriel Vahanian avait de l’élégance,
c’est-à-dire essentiellement trois choses : une bonne dose de modestie, un
courage certain, et une grande attention aux autres. De lui on peut affirmer ce
qu’il aimait dire de Rudolf Bultmann : «un maître à la fois grand par
l’esprit et humble par le cœur». Toucher, sans avoir à surprendre, encore
moins à choquer! Un des penseurs les plus originaux et les plus radicaux des
dernières décennies, Gabriel Vahanian a toujours exigé de ses nombreux
disciples et amis non pas qu’ils souscrivent béatement à ses intuitions, mais
qu’ils les prolongent à la mesure sans mesure des attentes d’aujourd’hui.
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